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8 septembre 2013

"Jésus est notre unique Vie"


Olivier Maire, smm

"Jésus est notre unique Vie"
Vraie dévotion n° 61


Voici le texte de la conférence du Père Olivier Maire, smm, faite mecredi le 7/8/13 pendant la Rencontre Internationale à Saint-Laurent-sur-Sèvre.




Au commencement de la seconde partie du Traité de la Vraie Dévotion (cf. VD 230), le Père de Montfort livre cinq vérités fondamentales « qui donneront jour à cette grande et solide dévotion que je veux découvrir » (VD 60). Ces cinq vérités sont « fondamentales » dans le sens qu’elles sont les fondements de la vraie dévotion à la Sainte Vierge ; fondations dynamiques puisqu’elles doivent lui « donner le jour », autant de fontaines donnant de leurs eaux. En présentant ces cinq vérités fondamentales, le Père de Montfort dit qu’il les présuppose (« après que j’aurai présupposé quelques vérités fondamentales) ; ce ne sont pas des présupposés au sens logique du mot, mais des sources en tant que la source est le présupposé de la rivière… Ces cinq vérités ont un caractère générationnel puisqu’elles donnent le jour ; elles reconduisent à l’origine (ce n’est pas par hasard que la dernière vérité fondamentale se termine par l’évocation de Gn 3 ; cf. VD 89)[1] ; une origine lumineuse car elles donnent jour…
Ces cinq vérités fondamentales sont :

1)      Jésus-Christ doit être la fin dernière de toutes nos dévotions (VD 61-67)
2)      Nous sommes à Jésus-Christ et à Marie en qualité d’esclaves (VD 68-77)
3)      Nos meilleures actions sont souillées et corrompues (78-82)
4)      Nous avons besoin d’un médiateur auprès du Médiateur (83-86)
5)      Il est très difficile de conserver les grâces reçues de Dieu (87-89).

Ces cinq vérités soigneusement numérotées par le Père de Montfort (première vérité ; seconde vérité troisième vérité ; etc…) ne sont ni exhaustives (« Quelques vérités fondamentales » ; VD 60), ni homogènes. En effet, les deux premières sont articulées entre elles (« il faut conclure de ce que Jésus-Christ est à notre égard, que nous ne sommes point à nous » ; VD 68) et sont de nature « ontologique » (Jésus-Christ EST ; nous ne sommes point à nous mais tout entier à Lui) ; les trois dernières sont plus de nature existentielle (nature corrompue de nos actions de notre « fond », troisième vérité, à pour conséquence notre besoin d’un médiateur auprès du seul Médiateur, quatrième vérité (« voici une quatrième vérité qui est la suite de la troisième » ; VD 82), et notre difficulté à conserver les grâces reçues d’où le recours à la Vierge fidèle, cinquième vérité)[2].

Dans le cadre restreint de cette conférence, nous n’aborderont que le début de la première vérité fondamentale (VD 61) dont voici le texte[3] :

Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme, doit être la fin dernière de toutes nos autres dévotions: autrement elles seraient fausses et trompeuses.

Jésus-Christ est l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin de toutes choses.

Nous ne travaillons, comme dit l'Apôtre, que pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ,

parce que c'est en lui seul qu'habite toute la plénitude de la Divinité et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus et de perfections ;
parce que c'est en lui seul que nous avons été bénis de toute bénédiction spirituelle;
parce qu'il est notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel nous devons être unis, notre unique modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique pasteur qui doit nous nourrir, notre unique voie qui doit nous conduire, notre unique vérité que nous devons croire, notre unique vie qui doit nous vivifier, et notre unique tout en toutes choses qui doit nous suffire.

Il n'a point été donné d'autre nom sous le ciel, que le nom de Jésus, par lequel nous devions être sauvés.

Dieu ne nous a point mis d'autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ :

tout édifice qui n'est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le sable mouvant et tombera infailliblement tôt ou tard ;
tout fidèle qui n'est pas uni à lui comme une branche au cep de la vigne, tombera, séchera et ne sera propre qu'à être jeté au feu.

Hors de lui tout n’est qu’égarement, mensonge, iniquité, mort et damnation.

Mais, si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous, nous n'avons point de damnation à craindre : ni les anges des cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni aucune autre créature ne nous peut nuire, parce qu'elle ne nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ.

Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes choses: rendre tout honneur et toute gloire au Père, en l'unité du Saint-Esprit ; nous rendre parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle.


 Cette première vérité fondamentale commence par une affirmation christologique, une profession[4] de foi : « Jésus-Christ notre Sauveur, vrai Dieu et vrai homme » ; puis cette dernière est suivi par une conséquence pratique : « doit être la fin dernière de toutes nos autres dévotions ». Nous pourrions dire que la lex credendi porte la lex orandi et la lex vivendi… Hors de cette vérité première de la profession de foi qui détermine la fin ultime de toute démarche religieuse, il n’y a que mensonge : « autrement elles seraient fausses et trompeuses ». Cette première vérité est donc le critère d’authenticité de toute dévotion[5].
Cette confession du Christ, vrai Dieu et vrai homme, (caractéristique de la christologie du Père de Montfort) est  contemplation du Mystère du Christ comme en témoigne le début de la consécration « à Jésus-Christ par Marie » :

« O Sagesse éternelle et incarnée !
O très aimable et adorable Jésus, vrai Dieu et vrai homme,
Fils unique du Père éternel et de Marie toujours vierge !
Je vous adore profondément dans le sein et les splendeurs de votre Père, pendant l’éternité,
Et dans le sein virginal de Marie, votre très digne Mère, dans le temps de votre incarnation. » (ASE 223)


Cette vérité « dogmatique » (ou « conciliaire ») sur le Christ Jésus conduit comme naturellement à une proclamation scripturaire, biblique :

« Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin de toute choses »

Ce texte s’appuie sur trois citations du Livre de l’Apocalypse : Ap 1, 8 ; 21, 6 et 22, 13 ; la première au commencement du Livre et les deux dernières à la fin… L’aspect englobant et totalisant de l’expression (alpha et oméga, premier et dernier, donc le tout désigné par ses limites extrêmes) est également caractéristique de saint Louis-Marie de Montfort ; il suffit de penser aux deux avènements de Jésus : cf. VD 49-54, VD 1, 13 (première / seconde), 15 (commencer / achever), 19, 22 (premier / dernier), 158 ; PE 12… Ce couple « commencement et fin », au niveau de la temporalité « christique », renvoie à un autre couple qui se situe à un niveau christologique, celui du Christ Total : Tête (Chef) et membres (cf. VD 20, 21, 22, 32, 33, 35, 36 ; PE 15 ; SM 12-13, 16-17).

« Jésus-Christ est l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin de toute choses »

Tout part du Christ et tout va vers le Christ ; tout est centré sur le Christ. Tout est orienté vers le Christ, comme fin ultime, fin dernière (selon cette formule redondante). Jésus-Christ est l’horizon eschatologique de toute chose, mystère de perfection[6] et de manière toute spéciale de l’être humain :

Nous ne travaillons, comme dit l'Apôtre, que pour rendre tout homme parfait en Jésus-Christ

Le Père de Montfort contemple le mystère du Christ en missionnaire, en Apôtre (il cite ici Col 1, 28). Le Christ nous entraîne dans sa Plénitude (cf. Ep 4, 13 ; Ep 3, 19 ; Col 2, 9-10. Col 1, 19). Ici se dit  l’unique projet apostolique du Père de Montfort qui est inséparablement un projet mystique (la perfection en Jésus-Christ).

Le zèle missionnaire de saint Louis-Marie de Montfort vient de cette vision du mystère du Christ qui saisit tout dans sa Lumière et dont la diffraction donne les trois « parce que » qui suivent dans le texte et qui sont donc plus que des causes ou des raisons…


parce que c'est en lui seul qu'habite toute la plénitude de la Divinité et toutes les autres plénitudes de grâces, de vertus et de perfections ;
parce que c'est en lui seul que nous avons été bénis de toute bénédiction spirituelle

Ces deux premiers « parce que » marqués par le « en lui seul » expriment cette exclusivité radicale du Christ étayée par de nombreux textes de saint Paul (cf. Col 1, 19 ; 2, 9 ; Ep 1, 3).

Le troisième « parce que » inaugure la longue litanie du Christ dont le « notre unique » donne un rythme saisissant :

parce qu'il est notre unique maître qui doit nous enseigner, notre unique Seigneur de qui nous devons dépendre, notre unique chef auquel nous devons être unis, notre unique modèle auquel nous devons nous conformer, notre unique pasteur qui doit nous nourrir, notre unique voie qui doit nous conduire, notre unique vérité que nous devons croire, notre unique vie qui doit nous vivifier, et notre unique tout en toutes choses qui doit nous suffire.

L’accumulation des titres du Christ d’origine scripturaire (cf. Mt 23, 8.10 ; Jn 10, 1-16 ; 14, 6 ; 1 Co 11, 1 ; Ep 5, 1 ; 1 Th 1, 6 ; 1 Co 8, 6 ; Col 1, 18) ne doit pas nous faire oublier la répétition des « notre » et « nous »… Nous sommes pris, saisis dans le Mystère du Christ ; sans lui nous ne sommes rien, nous n’existons que dans notre relation, rapport à lui (cf. VD 225).

Si cette longue litanie du Christ dit son unicité de manière affirmative (« il est ») ; le paragraphe suivant en tire les conséquences de manière négative[7] :


Il n'a point été donné d'autre nom sous le ciel, que le nom de Jésus, par lequel nous devions être sauvés.

Dieu ne nous a point mis d'autre fondement de notre salut, de notre perfection et de notre gloire, que Jésus-Christ :

tout édifice qui n'est pas posé sur cette pierre ferme est fondé sur le sable mouvant et tombera infailliblement tôt ou tard ;
tout fidèle qui n'est pas uni à lui comme une branche au cep de la vigne, tombera, séchera et ne sera propre qu'à être jeté au feu.

Ces sentences pourraient semblées trop absolues, exagérées. De fait, leur style leur donne le caractère tranchant de la parole, tel un glaive à deux tranchants… Mais tout n’est que Paroles de l’Écriture : Ac 4, 12 ; 1 Co 3, 11 ; Mt 7, 26.27 ; Jn 15, 6.

Hors de lui tout n’est qu’égarement, mensonge, iniquité, mort et damnation.

Cette phrase qui suit dans le manuscrit a été biffée par une main inconnue… suppression malheureuse dans nos éditions. Un texte très semblable se trouve en ASE :

« Demeurons-en donc à Jésus-Christ, la Sagesse éternelle et incarnée, hors duquel il n’y a qu’égarement, que mensonge et que mort : Ego sum via, veritas et vita. » (ASE 89 et Jn 14, 6)

La liste des négations précédentes, dans leur « non », conduit inévitablement à la damnation, à être sans Jésus, négation totale. Cet « hors de lui » est le drame absolu… Arrivé à ce néant, le Père de Montfort lance alors son cri, le « si » incisif de l’espérance, précédé de ce « mais » qui vient conjurer la malédiction d’une vie sans Jésus  et souligner l’ « être-en-Jésus »   :

Mais, si nous sommes en Jésus-Christ et Jésus-Christ en nous, nous n'avons point de damnation à craindre : ni les anges des cieux, ni les hommes de la terre, ni les démons des enfers, ni aucune autre créature ne nous peut nuire, parce qu'elle ne nous peut séparer de la charité de Dieu qui est en Jésus-Christ.


Là encore, rien n’est affirmé qui ne soit fondé dans l’Écriture : le Père de Montfort cite Rm 8, 1, 38.39. Cette « non-séparation » du Christ est montrée de manière visible dans l’écriture de ce texte par cette structure concentrique que le Père de Montfort apprécie particulièrement pour dire un lien inséparable[8] :

               si nous sommes
                        en Jésus-Christ
                        et Jésus-Christ
               en nous

 Jésus-Christ est au centre de cette structure : bel exemple « visible » du christocentrisme du Père de Montfort.

Cette structure concentrique montre également notre être-en-relation et la dépendance radicale que nous avons du Christ dont l’exemple le plus remarquable est la Vierge Marie elle-même :

« Je me tourne ici un moment vers vous, ô mon aimable Jésus, pour me plaindre amoureusement à votre divine Majesté de ce que la plupart des chrétiens, même des plus savants, ne savent pas la liaison nécessaire, qui est entre vous et votre sainte Mère.
Vous êtes, Seigneur, toujours avec Marie, et Marie est toujours avec vous
et ne peut être sans vous : autrement elle cesserait d'être de qu'elle est ; elle est tellement transformée en vous par la grâce qu'elle ne vit plus, qu'elle n'est plus ; c'est vous seul, mon Jésus, qui vivez et régnez en elle, plus parfaitement qu'en tous les anges et les bienheureux.
[…]
Elle [vous] est si intimement liée, qu'on séparerait plutôt la lumière du soleil, la chaleur du feu; je dis plus, on séparerait plutôt tous les anges et les saints de vous, que la divine Marie » (VD 63)

Cette manière de parler montre davantage l’union intime qu’il y a entre Jésus et Marie. Ils sont unis si intimement, que l’un est tout dans l’autre : Jésus est tout en Marie, et Marie toute en Jésus ; ou plutôt, elle n’est plus, mais Jésus tout seul en elle ; et on séparerait plutôt la lumière du soleil, que Marie de Jésus. En sorte qu’un peut nommer Notre-Seigneur Jésus de Marie, et la Sainte Vierge Marie de Jésus. VD 247[9]

Notre union au Christ est la « liaison nécessaire » qui nous donne d’exister… La Vierge Marie est donc le modèle de la vie en Christ.

Enfin, notre texte se termine par une formule quasi liturgique prise de la prière eucharistique :

Par Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, en Jésus-Christ, nous pouvons toutes   choses : rendre tout honneur et toute gloire au Père, en l'unité du Saint-Esprit ; nous rendre parfaits et être à notre prochain une bonne odeur de vie éternelle.

 Mais dans cette reprise de la doxologie eucharistique, nous sommes arrêtés dans notre élan pour proclamer notre « Amen ». En effet, le Père de Montfort la termine par deux ajouts : nous rendre parfaits et être pour notre prochain une bonne odeur de vie éternelle. Le premier est une réponse à l’invitation apostolique qui engage à rendre tout homme parfait[10] en Jésus-Christ (ce premier ajout fait office d’inclusion[11] avec la citation de Col 1, 28). Le second (citation libre de 2 Co 2, 15-16) nous invite à devenir à notre tour des apôtres. Ainsi, le fondement de la spiritualité montfortaine trouve son achèvement dans la mission apostolique.

 Père Olivier Maire smm



[1] Dans cette cinquième vérité fondamentale, Marie est nommée seulement « Vierge » : évocation  de l’origine. Si cette dernière vérité fondamentale se termine par un renvoi au Livre de la Genèse, la première vérité fondamentale commence par une citation du Livre de l’Apocalypse (Ap 1, 8 cité en VD 61) ; inclusion inversée, si l’on peut dire, bien caractéristique de l’écriture de saint Louis-Marie.
[2] Le thème de la « corruption » caractérise les trois dernières vérités fondamentales (cf. VD 78, 79 ; VD 83 et VD 87, 89).
[3] Je donne ici le texte de VD 61 dans une disposition qui en montre les grands ensembles dont il est constitué et en rétablissant la phrase qui a été barrée par une main qui ne semble pas être celle du Père de Montfort (il a lui-même corrigé le mot mensonge préalablement écrit « mansonge ».
[4] Nous pourrions renvoyer au concile de Chalcédoine (451) : « Nous confessons un seul et même Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité et le même parfait en humanité, le même vraiment  (ἀληθῶς  ) Dieu et vraiment homme […], consubstantiel ( ὁμοούσιον ) au Père selon la divinité et le même consubstantiel à nous selon l’humanité ». Nous pouvons renvoyer également à divers textes du Pape saint Léon le Grand.
[5] Le N° 62 en est la suite logique : « Si la dévotion à la Sainte Vierge éloignait de Jésus-Christ, il faudrait la rejeter comme une illusion du diable ».
[6] A la fois : τέλος, τέλειον, πλήρωμα.
[7] Texte rythmé par les deux « ne … point » et les deux « n’est pas ».
[8] Par exemple en ASE 63, 64 ; VD 247. On notera également les accents johanniques de cette forme : cf. Jn 14, 10.11.20 ; 15, 5 ; 17, 21.
[9] Cf. VD 212, 219.
[10] Rappelons que pour le Père de Montfort, notre « perfection » est toujours d’ordre christologique qui ne « s’acquiert que par l’union à Jésus-Christ » (VD 78 ; cf. VD 168) : « Toute notre perfection consistant à être conformes, unis et consacrés à Jésus-Christ », la plus parfaite de toutes les dévotions est sans difficultés celle qui nous conforme, unit et consacre le plus parfaitement à Jésus-Christ » (VD 120), « Cette dévotion est un chemin aisé, court, parfait et assuré pour arriver à l’union avec Notre Seigneur, où consiste la perfection du chrétien » (VD 152).
[11] Nous pourrions faire la même remarque concernant la doxologie finale et la citation de l’Apocalypse.

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