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29 septembre 2013

Être brasier d’amour là où tu es

Georges Madore, smm

Être brasier d’amour là où tu es


Voici le texte de la conférence de Georges Madore, smm,
faite samedi le 10/8/2013
pendant la Rencontre Internationale à Saint-Laurent-sur-Sèvre.




Dans son beau livre intitulé «Où cours-tu? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi?», Christiane Singer écrit:
Dans notre univers contemporain et carcéral, voué entier au mercantilisme et à l’insignifiance, ce qu’il s’agit à tout prix (vraiment à tout prix) d’éviter, c’est la profondeur et l’intensité. Tout est mis en place, construit, inventé, dressé, produit, distribué pour détourner de l’amour et servir de rempart à son rayonnement incendiaire.

Ce n’est pas, bien sûr, l’amour qui s’en trouve menacé. Ce qui est menacé, c’est notre faculté d’aimer. (...) Notre société ne parviendra pas plus à extirper l’amour de la Création qu’à éteindre la Voie lactée, mais elle réussira bel et bien à s’extirper elle-même. Ce qui est menacé, c’est notre participation au concert, non le concert. (...) En réduisant le champ vibratoire de l’amour dans nos vies, c’est nous-mêmes que nous expulsons hors du domaine des Vivants.
            (pages 49-50)

I. AUX RACINES DE L’AMOUR
            Nous, humains du 21ème siècle sommes toujours tentés de commencer par l’action car souvent nous n’estimons que l’action. Pour nous, aimer, c’est d’abord, et parfois exclusivement agir. Nous oublions alors que l’action est un fruit qui ressemblera à l’arbre qui le porte. «On ne peut cueillir de bons fruits sur un mauvais arbre» dit Jésus.. Il nous faut aller aux racines même de l’agir qui feront que cet agir sera fruit de l’amour ou fruit de l’indifférence ou de l’égoïsme.

Les yeux, le cœur, les mains et les pieds
            En poursuivant la comparaison de l’arbre, on pourrait dire que les racines profondes de l’amour sont les yeux ou le regard, que ses branches et sa sève sont l’émotion – ce qui émeut, ou met en mouvement- et enfin le fruit en est l’action.

            C’est exactement ce mouvement que l’on voit dans l’Évangile. Ainsi, dans saint Luc, en voyant la veuve qui va enterrer son fils unique, Jésus voit, puis est bouleversé, puis il agit (Luc 7, 11-13)

“11 Et il advint ensuite qu’il se rendit dans une ville appelée Naïn. Ses disciples et une foule nombreuse faisaient route avec lui. 12  Quand il fut près de la porte de la ville, voilà qu’on portait en terre un mort, un fils unique dont la mère était veuve; et il y avait avec elle une foule considérable de la ville. 13  En la voyant, le Seigneur fut saisi de pitié pour elle et lui dit: "Ne pleure pas." 14  Puis, s’approchant, il toucha le cercueil, et les porteurs s’arrêtèrent. Et il dit: "Jeune homme, je te le dis, lève-toi." 15  Et le mort se dressa sur son séant et se mit à parler. Et il le remit à sa mère.” (Luc 7:11-15 JER)

De même, Marc raconte:

“32 Les disciples et Jésus partirent donc dans la barque vers un lieu désert, à l’écart. 33  Les voyant s’éloigner, beaucoup comprirent, et de toutes les villes on accourut là-bas, à pied, et on les devança. 34  En débarquant, il vit une foule nombreuse et il en eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit à les enseigner longuement. 35  L’heure étant déjà très avancée, ses disciples s’approchèrent et lui dirent: "L’endroit est désert et l’heure est déjà très avancée; 36  renvoie-les afin qu’ils aillent dans les fermes et les villages d’alentour s’acheter de quoi manger." 37  Il leur répondit: "Donnez-leur vous-mêmes à manger." Ils lui disent: "Faudra-t-il que nous allions acheter des pains pour deux cents deniers, afin de leur donner à manger?"” (Marc 6:32-37 JER)

Voyons donc ces trois mouvements de l’amour: voir, être ému, agir, ou pour référer à notre corps par lequel s’exprime l’amour: les yeux, le cœur, puis les mains et les pieds.

            1. Les yeux. Il faut d’abord changer notre regard sur l’autre. Il faut convertir notre regard si l’on veut que nos gestes aussi soient convertis. Convertir son regard, c’est entrer dans le regard que le Christ portait sur les autres. Le Christ voyait dans les autres non pas des riches ou des pauvres, des pécheurs ou des riches, des vieux ou des jeunes. Il voyait dans les autres des enfants de Dieu, mais des enfants souvent égarés ou blessés. La femme adultère n’est pas une pécheresse qu’il faut éliminer, mais une pauvre brebis qui a cherché la vie et le bonheur du mauvais côté. Zachée n’est pas un mauvais riche à mépriser, mais un homme blessé qui cherche sa guérison en accumulant les biens et en prouvant son pouvoir. Donc, la première question à me poser si je veux aimer n’est pas «qu’est-ce que je vais faire», mais «comment est-ce que je vois l’autre et les autres»

            2. Le cœur Dans les deux récits que nous avons vu plus haut, les évangélistes soulignent que le Christ est ému, saisi. Le verbe employé «splanknisômaï» vient du mot splankna: entrailles. C’est une émotion très intense qui engage tout l’être. Luc emploiera le même verbe pour décrire ce qui se passe dans deux personnages de parabole: le bon samaritain est ému, bouleversé, en voyant l’état de l’homme à demi-mort sur le chemin de Jéricho. Le père du jeune fils est bouleversé en voyant son fils revenir à la maison.

            Être ému, bouleversé, c’est se laisser atteindre par l’autre au plus intime de soi-même. Ainsi, le Christ se laisse rejoindre et toucher par la veuve de Naïn, et ensuite, il touche le cercueil de son fils.

            3. Les mains et les pieds Une fois que le regard de Jésus s’est posé sur l’autre à travers mon propre regard, une fois que j’ai laissé l’autre m’atteindre, que l’émotion a mis mon être en mouvement, l’a mobilsé, alors, l’action germe tout naturellement. Je sentirai en moi une nécessité d’agir. Le regard et l’émotion porteront fruit dans l’action. Quelle action? Prenons comme exemple la parabole du bon samaritain. Contrairement au prêtre et au lévite, le samaritain sait voir à la manière de Dieu. Il sait être ému à la manière de Dieu. Et enfin, je dirais, il agit... à la manière humaine, c’est-à-dire avec ce qu’il a: de l’huile et du vin! Il faut toujours savoir agir avec ce qu’on est et ce qu’on a. Si j’attend d’être un docteur en sociologie ou en psychologie, ou d’avoir amassé une fortune permettant d’établir une ONG, je n’agirai jamais. J’agis avec ce que je suis (Exemple du Père Guindon sur le pont...)

Je cite ici encore Christiane Singer:
Chaque geste que tu fais peut t’ouvrir ou te fermer une porte. Chaque mot que bredouille un inconnu peut être un message à toi adressé. À chaque instant, la porte peut s’ouvrir sur ton destin et par les yeux de n’importe quel mendiant, il peut se faire que le ciel te regarde. L’instant où tu t’es détourné, lassé, aurait pu être celui de ton salut. Tu n e sais jamais.  Chaque geste peut déplacer une étoile.
Cette certitude que tout, aussi minime en apparence et à chaque instant, puisse être relié à la face cachée du monde, transforme radicalement la vie. Le brouillard de l’insignifiance est levé. (page 45)

II. UNE QUALITÉ FONDAMENTALE DE L’AMOUR: LE RÉALISME
            Tentation constante de ne pas aimer l'autre, mais une image qu'on s'est faite, un idéal... Mais la première qualité de l'amour, c'est d'être réaliste, c’est-à-dire d’aimer celui ou celle qui est là devant moi, et non une image que je me fais de l’autre.  Exemple de Rachel qui lit un roman Arlequin racontant l'amour passionné d'un comte Henri de Neuville et de la petite Lison. Elle marie un homme, appelé Henri, mais attend de lui ce que le comte donnait à Lison! Quand on demande à quelqu'un ce qu'il ne peut donner, cela nous empêche de recevoir ce qu'il peut offrir! Si un homme demande à son épouse de lui donner ce que sa mère lui a donné, il risque d'être déçu.

            Dans l'Évangile: jeudi-saint, Jésus dit: «Un de vous me trahira.» Pierre, tout de suite: «Pas moi, Seigneur, jamais!» Jésus dit: «Pierre, je te connais: tu es faible. Avant que le coq puisse chanter une fois, tu vas avoir eu le temps de me trahir trois fois. Mais par la suite, on se rencontrera à nouveau, et on continuera à marcher ensemble.» Amour réaliste de Jésus: ne se fait aucune illusion sur Pierre, mais l'aime dans sa faiblesse. Amour réaliste du Christ pour moi...

«L'amour sans vérité est illusion, la vérité sans amour est condamnation.»

III. LES RISQUES DE L’AMOUR
            Aimer, c’est dangereux, on court des risques quand on aime: risque d’être exploité, de souffrir, d’être incompris, d’être déçu. Mais le plus grand risque, c’est de ne pas aimer, car alors on passe à côté de la vie. L’être humain est fait pour aimer et porte en lui la marque de Dieu, qui est Amour. Oui, ne pas aimer, c’est passer à côté de la vie.

            Exemple de la grande-tante Rébecca. Elle et sa voisine Mme Hurtubise gagnent le premier prix pour avoir tricoté une couverture de bébé. Rébecca donne la sienne à sa petite fille qui en fait son doudou, couche avec tous les soirs, l’use à la corde. Mme Hurtubise elle, garde la sienne jalousement, dans le fond de son tiroir, mais découvre un jour qu’elle est rongée par les mites! Nous n’avons pas le choix: notre vie s’use, rongée par la vieillesse et la maladie. Mais nous avons un choix, un seul: comment ma vie s’use: pour moi tout seul, ou pour donner de la chaleur, de la tendresse! «  En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra; mais qui perd sa vie à cause de moi, la sauvera» (Luc 9:24)

            Dieu lui-même s’est risqué à aimer... et il en a souffert. Cf. Osée: «elle courait après ses amants, et moi, elle m’oubliait» (Osée 2, 15). Le Christ en croix, victime de son amour pour l’humanité.

IV. QU’EST-CE QU’IL YA DANS UN CŒUR QUI AIME?

            Qu’est-ce qu’il y a dans un cœur qui aime? Que devons-nous avoir dans notre cœur pour réussir nos amours? Nous le découvrirons à travers cinq objets symboliques.

    1. Le chèque en blanc, symbole de la confiance. Sans la confiance, l’amour est impossible. La confiance, si précieuse, et si facilement brisée.

        2. Les papier-mouchoirs ou l’écharpe de soi, symbole de la souplesse. Il faut beaucoup de souplesse dans une relation. Mettre de l’eau dans son vin, ne pas dramatiser une situation, avoir de l’humour.

       3. La clé, symbole du partage. Le plus difficile à partager, c’est le temps. Si je partage ma maison, mon chalet, l’autre ne part pas avec! Mais le temps que je donne à l’autre est un don total: il ne reviendra jamais.

         4. Le téléphone: la communication, c’est la nourriture de base de l’amour.

       5. La gomme à effacer, symbole du pardon. Nous sommes des êtres humains et donc faibles. Pardonner à l’autre d’être humain!  Inévitablement, on se fait mal, on déçoit l’autre. Sans pardon, aucun amour ne peut survivre.

         6. La croix. Saint Jean a écrit: «Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour.» «Dieu est amour: qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui» (1 Jean 4, 8.16) Celui qui aime est habité par Dieu. Et celui qui est habité par Dieu est branché sur la source même de tout amour. De Dieu, nous apprenons l’art d’aimer et recevons la force d’aimer.

Laissons Montfort nous guider pour contempler la source de tout amour: le Christ dans sa passion:

Hélas! On le prend, on le lie,
On l’accable de mille coups,
On le cloue, on le crucifie,
Son Cœur est toujours aussi doux.

Son Père exauce sa prière,
Voilà qu’on perce son côté
Duquel il sort une rivière
D’eau, de sang et de charité.

Enfin, la fournaise est ouverte,
Enfin, ce grand Cœur est ouvert;
Enfin, la cause est découverte
Pourquoi Jésus a tant souffert.

En le perçant, on le soulage,
Car le feu dévorant ce Cœur,
La lance lui fait un passage
Pour se rendre au cœur du pécheur.
(cantique 41, couplets. 1, 19, 28, 34-36)

Georges Madore s.m.m.

10 août 2013

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